Rapport Gillet : la recherche déshabillée pour l’hiver
Petit rappel des faits: fin 2022 la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) Sylvie Retailleau a confié à Philippe Gillet, ancien directeur de cabinet de Valérie Pécresse, une « mission sur l’écosystème de la recherche et de l’innovation ». Le 15 juin 2023, le groupe de travail rendait à la ministre son rapport1 sous la forme de 14 propositions. Passé relativement inaperçu, et en complément du projet de Loi Guérini, celui-ci planifie pourtant une attaque frontale du service publique d’enseignement supérieur et de la recherche, plus que jamais sommé de se soumettre aux logiques de marché et aux pratiques managériales. Depuis, le gouvernement entend avancer au pas de charge. Ainsi une dépêche de l’AEF du 1er septembre annonce « Suites du rapport Gillet : 17 universités pilotes vont expérimenter des mesures de simplification avec les organismes ». Il est donc urgent de se mobiliser.
Nous proposons ci-dessous une brève analyse critique de ce rapport, au travers de quelques points saillants. L’analyse de la FSU est disponible ici.
Soumission aux intérêts économiques, casse de la recherche publique, attaque tous azimuts contre les statuts, mutualisation, évaluation-sanction par le HCERES : Nous vous présentons le rapport Gillet !
La rentrée 2023 se fait sous le feu des discours incendiaires du gouvernement et de ses obligés contre l’ESR. Revoilà donc la petite musique des coupes budgétaires, alors même que les conditions d’étude et de travail ne cessent de se dégrader et les salaires de se dévaloriser. Macron intime l’ordre de faire « mieux » avec moins. Ainsi le 8 septembre, la Ministre explique qu’il s’agit de « faire le ménage dans les formations »2 et ne garder que celles qui mènent à un emploi. Il faut « intégrer le monde professionnel », « adapter les formations aux besoins de la société »3. C’est exactement l’objectif qu’affiche le rapport Gillet. Ce rapport, vise en effet à une redéfinition totale de la recherche scientifique, du rôle des Organismes Nationaux de Recherche4, (ONR) et des universités ainsi que des statuts des personnels. Il s’appuie sur les outils existants ou en train de se mettre en place, tous aussi néfastes pour l’ESR, ses règles et ses garanties collectives : appels à projet, ANR, PEPR, COMP, HCERES…
Casse des organismes nationaux de recherche sous couvert de mission d’« agence de programmes »
Une nouvelle mission serait ainsi dévolue aux ONR : celle d’ « agence de programme », en s’appuyant sur l’expérience des programmes et équipements prioritaires. Concrètement, l’État définirait les Programmes Nationaux de Recherche (PNR) que les ONR seraient chargés de piloter et coordonner, à raison d’une agence par thématique (santé, numérique, etc.) L’ANR déciderait de l’attribution des budgets sur la base d’appels à projet et les évaluations seraient aux mains du HCERES. Bref ce nouveau rôle d’« agence de programmes » se réduirait à celui d’une gestion inter-organismes des équipes lauréates ! Les organismes publics devront donc se plier aux priorités de l’État et, sous couvert de sa politique de « réindustrialisation », perdront de leur autonomie en terme de politique de recherche. Cela entrainera l’accélération de la paupérisation de nombreuses équipes, l’abandon de pans entiers de la recherche et le décrochage de nombre de chercheurs et EC qui n’auront plus les moyens de remplir leur mission de recherche. L’objectif avoué est d’en finir avec « la superposition d’organismes et agences dont les périmètres d’intervention se chevauchent »5. Le rapport l’illustre avec la santé où l’INSERM devrait devenir le coordinateur des PNR. Une façon de dépouiller le CNRS de l’INSB, son institut de biologie, tel que le préconisait un rapport de la Cour des Comptes6 ? D’autres instituts du CNRS pourraient être pilotés via les PNR par d’autres ONR ou inversement. C’est une profonde évolution qui se dessine dont l’aboutissement est la casse des ONR.
Les « mesures de simplification », une stratégie de site sous la tutelle des universités…
Pour compléter ce dispositif, le rapport jette les bases concrètes du transfert de la gestion des personnels des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) vers les universités, objectif affiché par Macron lors de sa campagne présidentielle en janvier 2022 : « Les universités ont vocation à être les pilotes de la stratégie du site, à coordonner les outils et les moyens de cette stratégie dans les domaines de la formation, de la recherche, de la science pour et avec la société, de l’innovation et de l’interaction avec le monde socio-économique. »7 Le but est de mutualiser, avec à la clé des économies d’échelle, à commencer par la mise en commun des services de gestion sur plusieurs UMR et des délégations régionales avec les universités. En effet, le rapport préconise de généraliser la délégation de gestion des UMR à l’hébergeur (les universités). Le CNRS, dont environ 90 % des agents sont affectés dans les UMR8 et qui héberge seul 10 % d’entre elles, ne serait plus qu’une agence de moyens. Les directeur d’UMR deviendraient de véritables managers avec des pouvoirs élargis sur la gestion des personnels et des finances.
…avec l’arme des contrats d’objectifs, de moyens et de performances
Les ONR seront impliqués dans les COMP (Contrat d’objectifs, de moyens et de performances) des universités qui les engageront dans « une planification commune des moyens RH et budgétaires »9 et dans la chasse aux financements (appel à projet, collaborations avec les entreprises, …). L’évaluation du HCERES devra être suivie d’effets : certes, en cas de succès l’État devra apporter des moyens supplémentaires mais sinon ce sera l’inverse (et rappelons nous que l’État « manque de moyens ».) Voilà donc comment se dessine le « nouveau modèle économique » prôné par Retailleau : ne plus attribuer aux établissements du supérieur les moyens de l’État en fonction des besoins en enseignement et en recherche mais selon leur zèle à appliquer les « priorités stratégiques du Ministère », autrement dit sa politique de casse !
Attaque tous azimuts des statuts : modulation de service pour tout le monde (E, EC C)
Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, le rapport préconise que les chercheurs des EPST assurent un enseignement de 32h ou 64h pour pallier le manque d’enseignants sans embaucher de jeunes docteurs. C’est la remise en cause du statut de chercheur à temps plein. A l’autre bout du spectre, il y a les enseignants détachés de l’Éducation Nationale, qui assurent un double service d’enseignement et à qui une mission de recherche serait confiée. Quant aux enseignants-chercheurs, leurs statuts sont aussi directement visés. Le rapport préconise une modification règlementaire pour que la modulation de service n’ait finalement plus de limite. On pourrait donc se retrouver avec des enseignants-chercheurs qui n’effectuerait plus de mission de recherche. Cela se déciderait en concertation directe avec l’employeur universitaire. C’est ici aussi une attaque contre la mission des enseignants-chercheurs, et finalement la négociation locale de leur contrat avec l’université. C’est d’ailleurs en application de cette modulation que les nouveaux recrutés devrait avoir pendant 3 ans un allègement du service d’enseignement (64 HETD) ainsi qu’une « dotation d’amorçage » les alignant sur les chaires de professeur junior ; préfigurant leur généralisation à terme au détriment du recrutement sur concours.
Pour le retrait intégral du rapport Gillet et de ses conclusions
Après la LPR, c’est une nouvelle offensive de grande ampleur à laquelle les personnels de l’ESR sont confrontés. La section Toulon du SNESup se prononce en toute clarté pour le retrait intégral de ce rapport et de ses conclusions, et pour l’arrêt immédiat des expérimentations. Conscient qu’il s’agit d’une bataille nationale, en Juin, lors du congrès national de notre syndicat, les délégués mandatés par notre section ont porté la motion suivante face au congrès :
« Le congrès du SNESup-FSU décide que la direction de notre syndicat ne doit se rendre à aucune concertation sur le rapport Gillet. En ce sens, elle doit œuvrer à la réalisation d’un front uni avec les syndicats de l’enseignement supérieur et de la recherche (SNCS, SNTRS-CGT, FO-ESR, etc.) sur cette orientation. » (25 POUR, 42 CONTRE, 6 ABS, 12 NPPV)
Motion de la section Université de Toulon lors du congrès national du SNESup-FSU, 12-14 Juin 2023
La section mènera campagne auprès des collègues pour les avertir. Elle proposera la tenue d’une réunion publique prochainement.snes
- Gillet, P. & Ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation. (2023). Mission sur l’écosystème de la recherche et de l’innovation. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2023-06/rapport—mission-sur-l-cosyst-me-de-la-recherche-et-de-l-innovation-28193.pdf ↩︎
- Corbier, M. (2023, 8 septembre). Les universités sommées de faire le tri dans leurs formations. Les Echos. https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/les-universites-sommees-de-faire-le-tri-dans-leurs-formations-1976647 ↩︎
- Idem ↩︎
- Les ONR regroupent indistinctement les EPST dont les personnels sont sous statut de la fonction publique (CNRS, INSERM, INRIA, IRD, INRAE, INED) et les EPIC où ils sont sous statut de droit privé (CEA, CNES, ONERA, IFPEN -Institut Français du Pétrole,…) ↩︎
- Rapport Gillet. Déjà cité. ↩︎
- Brafman, N. (2023, 23 janvier). Inserm : La Cour des comptes appelle à une évolution radicale de l’institut de recherche. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/01/23/inserm-la-cour-des-comptes-appelle-a-une-evolution-radicale-de-l-institut-de-recherche_6158996_1650684.html ↩︎
- Rapport Gillet. Déjà cité. ↩︎
- Voir les données disponibles dans : Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. (2023). RAPPORT D’ÉVALUATION DU CNRS (CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE). https://www.hceres.fr/sites/default/files/media/files/rapport-cnrs-2023_0.pdf ↩︎
- Rapport Gillet. Déjà cité. ↩︎